lundi 10 novembre 2014

Entonnoir paralysant.

Lors de l’avant-propos, j’ai commencé à évoquer les blocages historiques qui empêchaient le système scolaire de se montrer efficace de nos jours. Dont la statue du Commandeur Jules Ferry. Un lourd héritage symbolique.
Pour comprendre l’anxiété structurelle qui caractérise l’élève français dans les enquêtes PISA, je crois qu’il faut se pencher avant tout sur le fonctionnement de notre enseignement supérieur, ce dernier étage avant l’intégration sociale et professionnelle des jeunes citoyens.
Je vous rappelais, dans le premier post, à quel point l’économie post-industrielle de notre pays, comme l’ensemble des nations européennes, nécessite un très haut potentiel de « matière grise ». Pour posséder des bases pérennes, nos entreprises doivent se positionner sur des secteurs à très haute valeur ajoutée. Détenir des savoir-faire difficilement délocalisables ailleurs. Et en perpétuelle évolution pour faire face à la concurrence mondialisée. J’observais, il y a peu, la grande réunion des entreprises du luxe à Versailles. Un des secteurs économiques les plus performants. Et fortement exportateur. Un des intervenants : « Notre force est de posséder des savoir-faire uniques au monde. ». Belle analyse. Qu’il ne s’endorme pas trop sur ses lauriers tout de même. La curiosité et l’habileté de ses concurrents est insatiable. Avec des systèmes de formation souvent beaucoup plus performants…
Regardons de plus près le nôtre. Notre enseignement supérieur.
Sa structure globale date… du début du XIXème  siècle !
Dans l’élan de la Révolution, les pouvoirs publics ont créé de nouvelles écoles destinées à former l’élite de l’administration et de l’armée. St Cyr. Polytechnique. Et relégué au second plan les autrefois prestigieuses universités.
Or, deux siècles plus tard, cette hiérarchie perdure ! Les universités sont indigentes, sous dotées. 50 000 étudiants quittent chaque année leurs facultés en cours de cursus. Ceux qui en ressortent avec un diplôme éprouvent les pires difficultés à exercer dans leur domaine d’études. Voire à travailler. Cursus mal adaptés aux besoins économiques me direz vous. Certes. Néanmoins, il manque chaque année 15 000 ingénieurs en France. Pourquoi l’université ne pourrait pas combler ce déficit ?
Il me semble que le blocage est avant tout d’ordre « idéologique ». On l’a vu, notre système scolaire s’est construit sur le principe d’une pyramide élitiste. Nous y sommes toujours. Parce qu’une partie de l’opinion est convaincue de sa pertinence. « Il faut encourager les plus méritants ! ». Petits enfants de Jules Ferry…
Seulement, la « méritocratie » nous transforme petit à petit en « Camembertland » pour industrieux touristes chinois. Et, toujours d’après PISA, il y a de moins en moins d’élèves des classes défavorisées à posséder un diplôme de l’enseignement supérieur… PISA où les élèves chinois caracolent en tête…
15 000 ingénieurs manquants, 40 000 étudiants en médecine recalés en première année alors qu’on « importe » des praticiens étrangers… et un taux effarant d’échec en université ! Inégalitaire socialement et inefficient économiquement. Peut-on encore décemment se vanter de « l’excellence française » ? J’entendais dernièrement un ministre pérorer sur le grand nombre de français lauréats de la médaille Fields de mathématiques. Cocorico ! Le brin d’herbe qui cache la forêt…
Nous pourrions encore dénoncer de nombreuses incohérences dans l’enseignement supérieur. Néanmoins, ce qui me semble essentiel de relever, c’est le poids qu’il exerce sur l’ensemble du système scolaire. Depuis la maternelle…
En effet, quel que soit leur niveau de projection scolaire, tous, élèves et parents savent plus ou moins consciemment que l’école française se présente comme un entonnoir. Qu’elle n’est structurée que pour dégager une petite « élite ». Qu’elle sert avant tout à éliminer progressivement ceux qui n’en feront pas partie. Combien de fois des enseignants ont entendu d’un parent d’élève : « Mon enfant, on n’en fera pas un polytechnicien ! ». Bien sûr, c’est un tic de langage social, que l’interlocuteur manie parfois de façon ironique. Mais, cela prouve à quel point cette pyramide élitiste imprègne les structures mentales.
Attention, j’arrête tout de suite ceux qui penseraient que je ne souhaite pas une « élite intellectuelle ». Au contraire ! Il faut donner du grain à moudre aux élèves brillants ! Qui souffrent très souvent du formatage de programmes nationaux parfois indigents. De la matière pour les futures médailles Fields, donnons-en-leur ! À satiété ! L’homogénéité des cursus jusqu’au baccalauréat tue bien plus de « génies » qu’elle ne sauve de « laborieux ».
Non, ce qui se révèle difficilement acceptable est de constater que les élèves, dès la maternelle, se définissent par rapport aux « meilleurs éléments ». Parce qu’ils savent déjà qu’il n’existe que la Voie Royale : filière générale, classes préparatoires et grandes écoles. Les autres parcours, qui, pourtant, possèdent de réelles qualités formatrices, se font par défaut. Par dépit.
Peut-on encore s’étonner du niveau d’anxiété excessif des élèves français ? Toujours sur la base de ces fameuses enquêtes PISA, ces élèves estiment pourtant que leurs classes sont assez propices au travail et leurs enseignants plutôt empathiques. Mieux, ils se montrent parmi les plus motivés pour apprendre… Leur nœud au ventre alors ? Le manque de confiance en eux généré par un jugement systématique par rapport aux plus performants. L’exemple des mathématiques est, à cet égard, symptomatique : matière plutôt appréciée par les élèves français, la moitié d’entre eux en éprouvent tout de même un profond désarroi. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils savent que c’est un des principaux critères de sélection pour les filières d’excellence ! Sans compétence en mathématiques, peu de salut !
Pire, l’enseignement se voit lui-même déposséder d’une des ses fonctions premières. Former des esprits critiques et savants devient de fait accessoire. L’objectif d’un élève, même performant, consiste plus à accumuler des savoirs qu’à les combiner. Lors des fameuses classes préparatoires, les étudiants développent une formidable capacité de travail… dans le but premier de réussir les concours d’entrée aux grandes écoles ou assimilées. Bien sûr, ils peuvent y acquérir de la curiosité pour leurs domaines d’études. Cependant, cet appétit ne se fera qu’à posteriori. Par démarche personnelle. L’institution n’en sera jamais l’instigateur.
Dans notre pays, le savoir se révèle avant tout utile. Pour atteindre les accessits de la méritocratie.
Apprendre est délégitimé. Dans sa fonction fondamentale. Émancipatrice.
On peut toujours s’interroger sur les contenus et les méthodologies didactiques. Nous en parlerons bientôt. Il n’empêche, tant qu’étudier sera plus une fin qu’un moyen, il reste illusoire d’en discuter. L’enseignement possède une finalité économique. Évidemment. Seulement, notre système scolaire n’est pas pertinent économiquement. Au contraire.
Et, surtout, il dévalorise fondamentalement la majorité des élèves. En les confrontant à un « idéal » pédagogique que la plupart ne peut atteindre. Il ne tire même pas le nombre vers le haut. Il le culpabilise. Et lui nie le droit de développer des stratégies propres. D’y développer ses capacités d’apprenant. Au mépris d’urgents besoins socio-économiques.

2 articles très instructifs :

samedi 1 novembre 2014

Avant-propos

Vaincre Jules Ferry. Une locution volontairement provocatrice.
Et inspirée par le passionnant ouvrage d’Avraham Burg « Vaincre Hitler » publié en 2008.
Evidemment, nullement question de mettre en parallèle l’épouvantail du XXème siècle avec le promoteur de la 3ème République ! Seulement, cet ancien président de la Knesset s’évertue à y montrer à quel point le « culte de la Shoah » empêche la nation israélienne de se construire avec un positionnement local efficace. A quel point, dans la pratique politique de ce pays, la Solution Finale pèse négativement sur tous les choix. Une constante qui, dans la fournaise du Proche Orient, n’a pas lieu, selon lui, d’être prise en considération. Autant dire que la Shoah y pèse d’un poids purement mythologique.
Mythologie. Le lien entre les deux titres.
Si j’ouvre cet espace de débats, de réflexions et de controverses aussi, je l’espère, c’est justement parce que le Ferry des lois scolaires me semble relever dorénavant du mythe. Paralysant. Et inefficient.
Je n’ai absolument aucune acrimonie contre le personnage. Bien au contraire. Il s’est montré à la fois d’une efficacité redoutable et d’une habileté remarquable ! Quand il accède à la présidence du Conseil en 1880, il s’attelle à deux chantiers prioritaires pour la toute jeune 3ème République.
D’abord, pérenniser un système politique républicain qui n’avait surnagé qu’entre 1792 et 1804 puis entre 1848 et 1852. 16 ans sur 82 ! L’arbrisseau de la Liberté n’était vraiment pas enraciné solidement dans le sol français !
Ensuite, le pays se relevait à peine de l’humiliation de 1870. Le territoire avait été amputé de ses « marches orientales ». Il fallait préparer et instruire, voire endoctriner, la population française pour qu’elle fonce enfin unie vers la Grande Revanche.
Bilan. 38 ans après, la France gagnait sa guerre. Et la 3ème République n’abdiqua que 60 ans plus tard sous l’effet d’une invasion étrangère.
On lui doit également une partie de la solidité de notre régime politique qui a repris ses droits dès que la parenthèse pétainiste fut refermée. Ses lois scolaires ont effectivement fondé le socle républicain. Je crois qu’on peut le louer pour la pertinence de son œuvre.
Je sais bien que de nombreuses personnalités, essentiellement contemporaines, se sont émues de sa politique d’expansion coloniale. Ses justifications semblent évidemment difficilement défendables pour les français d’aujourd’hui. Seulement, à son époque, ce choix semblait tellement évident ! Toutes les nations européennes y adhéraient. On ne peut pas le blâmer d’avoir été un homme de son temps. Donc, évacuons ces considérations morales. Laissons-en l’étude objective aux historiens.
Il existe bien certains choix discutables dans ses lois scolaires de 1882. J’y viendrai prochainement. Mais, pour l’essentiel, sa politique éducative s’est révélée d’une totale efficience.
Xavier Amon ntrar.com
Alors, me direz-vous, où se trouve le souci ? Pourquoi vouloir absolument « vaincre » Jules Ferry et ce qu’il a mis en place avec brio ?
Petite chronologie explicative.
15 mai 2012. Le tout nouveau Président François Hollande se déplace pour célébrer Marie Curie. Et Jules Ferry. En déposant une gerbe de fleurs au pied de sa statue dans le Jardin des Tuileries. Il déclare placer son mandat sous le parrainage moral de ces deux personnages. Humble praticien de l’Education Nationale et citoyen anonyme, ce choix m’interroge. Marie Curie, pourquoi pas. La défense des femmes, la science et l’intégration sont toujours d’actualité. Par contre, Jules Ferry…
Je me précipite, dès qu’elles sortent, tous les trois ans,  sur les enquêtes PISA. Notre système scolaire s’y montre de moins en moins performant depuis 2000… Est-ce vraiment pertinent de ressortir la figure tutélaire de Ferry ? A-t’on encore besoin d’une population unifiée et belliqueuse ? Dubitatif.
13 août 2014. Je visite le musée de l’école publique à St Clar dans le Gers (http://www.musee-ecole-publique.fr/). Très intéressante initiative d’une association locale. Pas d’hagiographie excessive. Un louable travail d’histoire. Seulement, quels points communs entre notre France actuelle et celle d’avant 1914 ? Même si l’urbanisme et l’individualisme de la société capitalistique s’y développait déjà, la population scolaire était encore majoritairement rurale, familiale et catholique. On y avait encore besoin de « bras » en grande quantité pour le labour et la baïonnette. Plus quelques élites instruites pour les encadrer et les diriger. En 2014, par contre, on sait que la France, pauvre en matières premières et en main d'oeuvre bon marché, a un besoin économique structurel et croissant de « matière grise ».
Ces différences ne seraient que peu de choses si Jules Ferry ne servait plus que de « grand-père » berçant agréablement nos élans nostalgiques. Seulement, entre ces deux dates, dans les différentes publications ministérielles, j’ai retrouvé les mêmes antiennes qu’en 1882 ! Egalité des chances. Formation et épanouissement du citoyen. Cohésion nationale… Ce n’est plus le sympathique papi. C’est toujours le Gardien et l’Inspirateur du Temple Laïc ! Le Grand Inquisiteur Républicain. Le totem suprême. Mythologique. Intouchable. Indépassable.
Egalité des chances. Cohésion nationale. Formation et épanouissement du citoyen. Tout juste y a-t’on adjoint européen, ce qui ne peut que me convenir. Mais que constate-t-on ?
Egalité des chances... Selon ces fameuses enquêtes PISA, le système apparait de plus en plus inégalitaire chaque année ! Je sais, qu’à chaque publication, le psittacisme politico-médiatique de rigueur s’enorgueillit de fustiger ces épreuves « d’obédience anglo-saxonne » qui dévalorisent notre système national d’enseignement. Les thermomètres de l’OCDE doivent être, par nature, sectaires… Et nos homologues allemands, australiens, chinois ou brésiliens, foncièrement tous anti-français… Pourtant, nos brillants résultats économiques prouvent, sans discussion aucune, l’efficience de nos formations !...
Cohésion nationale… Les classes moyennes maigrissent allègrement depuis 20 ans. Et les partis antirépublicains atteignent des scores record…
Quant à la formation et l’épanouissement du citoyen… Les taux d’abstention aux scrutins s’envolent. Au moins 100 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans qualification. Et, toujours selon ces mêmes études PISA, décidément vipérines, l’élève français se situe parmi les plus anxieux au sein de son établissement. Heureuses prémices de sa participation et de sa future intégration sociales…
Peut-on encore fonctionner sur la base de tels principes ? Pour le moins inopérants aujourd’hui.
Pourquoi s’accrocher à cette éternelle « liturgie » républicaine de vœux pieux ?
Ces « crédos laïques » sont partie constituante de notre histoire nationale. Très bien. Qu’on les confie alors aux historiens.
Et que les législateurs actuels s’en affranchissent.
Pour repenser une école efficace. Comme celle de Jules Ferry.
Mais plus la même !
Je sais que beaucoup m’objecteront qu’elle n’est déjà plus identique à celle de 1882. Oui, le public est différent. Les conditions d’enseignement également. Mais les principes et les structures sont étonnamment figés.
Ce que je tenterai de vous relater dans les prochaines publications.
A bientôt.
N’hésitez pas à commenter. Même et, surtout, si vous avez des désaccords.