Lors
de l’avant-propos, j’ai commencé à évoquer les blocages historiques qui
empêchaient le système scolaire de se montrer efficace de nos jours. Dont la
statue du Commandeur Jules Ferry. Un lourd héritage symbolique.
Pour
comprendre l’anxiété structurelle qui caractérise l’élève français dans les
enquêtes PISA, je crois qu’il faut se pencher avant tout sur le fonctionnement
de notre enseignement supérieur, ce dernier étage avant l’intégration sociale
et professionnelle des jeunes citoyens.
Je
vous rappelais, dans le premier post, à quel point l’économie post-industrielle
de notre pays, comme l’ensemble des nations européennes, nécessite un très haut
potentiel de « matière grise ». Pour posséder des bases pérennes, nos
entreprises doivent se positionner sur des secteurs à très haute valeur
ajoutée. Détenir des savoir-faire difficilement délocalisables ailleurs. Et en
perpétuelle évolution pour faire face à la concurrence mondialisée. J’observais,
il y a peu, la grande réunion des entreprises du luxe à Versailles. Un des
secteurs économiques les plus performants. Et fortement exportateur. Un des
intervenants : « Notre force est de posséder des savoir-faire uniques
au monde. ». Belle analyse. Qu’il ne s’endorme pas trop sur ses lauriers
tout de même. La curiosité et l’habileté de ses concurrents est insatiable. Avec
des systèmes de formation souvent beaucoup plus performants…
Regardons
de plus près le nôtre. Notre enseignement supérieur.
Sa
structure globale date… du début du XIXème siècle !
Dans
l’élan de la Révolution, les pouvoirs publics ont créé de nouvelles écoles
destinées à former l’élite de l’administration et de l’armée. St Cyr.
Polytechnique. Et relégué au second plan les autrefois prestigieuses
universités.
Or,
deux siècles plus tard, cette hiérarchie perdure ! Les universités sont
indigentes, sous dotées. 50 000 étudiants quittent chaque année leurs
facultés en cours de cursus. Ceux qui en ressortent avec un diplôme éprouvent
les pires difficultés à exercer dans leur domaine d’études. Voire à travailler.
Cursus mal adaptés aux besoins économiques me direz vous. Certes. Néanmoins, il
manque chaque année 15 000 ingénieurs en France. Pourquoi l’université ne
pourrait pas combler ce déficit ?
Il
me semble que le blocage est avant tout d’ordre « idéologique ». On
l’a vu, notre système scolaire s’est construit sur le principe d’une pyramide
élitiste. Nous y sommes toujours. Parce qu’une partie de l’opinion est
convaincue de sa pertinence. « Il faut encourager les plus
méritants ! ». Petits enfants de Jules Ferry…
Seulement,
la « méritocratie » nous transforme petit à petit en
« Camembertland » pour industrieux touristes chinois. Et, toujours
d’après PISA, il y a de moins en moins d’élèves des classes défavorisées à posséder
un diplôme de l’enseignement supérieur… PISA où les élèves chinois caracolent
en tête…
15 000
ingénieurs manquants, 40 000 étudiants en médecine recalés en première
année alors qu’on « importe » des praticiens étrangers… et un taux
effarant d’échec en université ! Inégalitaire socialement et inefficient
économiquement. Peut-on encore décemment se vanter de « l’excellence
française » ? J’entendais dernièrement un ministre pérorer sur le
grand nombre de français lauréats de la médaille Fields de mathématiques. Cocorico !
Le brin d’herbe qui cache la forêt…
Nous
pourrions encore dénoncer de nombreuses incohérences dans l’enseignement
supérieur. Néanmoins, ce qui me semble essentiel de relever, c’est le poids qu’il
exerce sur l’ensemble du système scolaire. Depuis la maternelle…
En
effet, quel que soit leur niveau de projection scolaire, tous, élèves et
parents savent plus ou moins consciemment que l’école française se présente
comme un entonnoir. Qu’elle n’est structurée que pour dégager une petite « élite ».
Qu’elle sert avant tout à éliminer progressivement ceux qui n’en feront pas
partie. Combien de fois des enseignants ont entendu d’un parent d’élève : « Mon
enfant, on n’en fera pas un polytechnicien ! ». Bien sûr, c’est un
tic de langage social, que l’interlocuteur manie parfois de façon ironique.
Mais, cela prouve à quel point cette pyramide élitiste imprègne les structures
mentales.
Attention,
j’arrête tout de suite ceux qui penseraient que je ne souhaite pas une « élite
intellectuelle ». Au contraire ! Il faut donner du grain à moudre aux
élèves brillants ! Qui souffrent très souvent du formatage de programmes
nationaux parfois indigents. De la matière pour les futures médailles Fields, donnons-en-leur !
À satiété ! L’homogénéité des cursus jusqu’au baccalauréat tue bien plus
de « génies » qu’elle ne sauve de « laborieux ».
Non,
ce qui se révèle difficilement acceptable est de constater que les élèves, dès
la maternelle, se définissent par rapport aux « meilleurs éléments ».
Parce qu’ils savent déjà qu’il n’existe que la Voie Royale : filière
générale, classes préparatoires et grandes écoles. Les autres parcours, qui,
pourtant, possèdent de réelles qualités formatrices, se font par défaut. Par
dépit.
Peut-on
encore s’étonner du niveau d’anxiété excessif des élèves français ?
Toujours sur la base de ces fameuses enquêtes PISA, ces élèves estiment pourtant
que leurs classes sont assez propices au travail et leurs enseignants plutôt
empathiques. Mieux, ils se montrent parmi les plus motivés pour apprendre… Leur
nœud au ventre alors ? Le manque de confiance en eux généré par un
jugement systématique par rapport aux plus performants. L’exemple des mathématiques est, à
cet égard, symptomatique : matière plutôt appréciée par les élèves
français, la moitié d’entre eux en éprouvent tout de même un profond désarroi.
Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils savent que c’est un des principaux critères de sélection pour les filières d’excellence ! Sans compétence en
mathématiques, peu de salut !
Pire,
l’enseignement se voit lui-même déposséder d’une des ses fonctions premières.
Former des esprits critiques et savants devient de fait accessoire. L’objectif
d’un élève, même performant, consiste plus à accumuler des savoirs qu’à les
combiner. Lors des fameuses classes préparatoires, les étudiants développent
une formidable capacité de travail… dans le but premier de réussir les concours
d’entrée aux grandes écoles ou assimilées. Bien sûr, ils peuvent y acquérir de
la curiosité pour leurs domaines d’études. Cependant, cet appétit ne se fera qu’à
posteriori. Par démarche personnelle. L’institution n’en sera jamais l’instigateur.
Dans
notre pays, le savoir se révèle avant tout utile. Pour atteindre les accessits
de la méritocratie.
Apprendre
est délégitimé. Dans sa fonction fondamentale. Émancipatrice.
On
peut toujours s’interroger sur les contenus et les méthodologies didactiques.
Nous en parlerons bientôt. Il n’empêche, tant qu’étudier sera plus une fin qu’un
moyen, il reste illusoire d’en discuter. L’enseignement possède une finalité
économique. Évidemment. Seulement, notre système scolaire n’est pas pertinent
économiquement. Au contraire.
Et, surtout, il dévalorise fondamentalement la majorité des élèves. En les confrontant à un « idéal » pédagogique que la plupart ne peut atteindre. Il ne tire même pas le nombre vers le haut. Il le culpabilise. Et lui nie le droit de développer des stratégies propres. D’y développer ses capacités d’apprenant. Au mépris d’urgents besoins socio-économiques.
Et, surtout, il dévalorise fondamentalement la majorité des élèves. En les confrontant à un « idéal » pédagogique que la plupart ne peut atteindre. Il ne tire même pas le nombre vers le haut. Il le culpabilise. Et lui nie le droit de développer des stratégies propres. D’y développer ses capacités d’apprenant. Au mépris d’urgents besoins socio-économiques.
2 articles très instructifs :